Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.
Samedi 13 mars, Anne-Sophie Boisgallais, chargée d’études à l’Agence d’urbanisme de Caen Normandie Métropole (Aucame) et co-animatrice du projet alimentaire territorial de Caen Normandie Métropole, nous écrit de la plaine de Caen.
Insolite dans la plaine de Caen
Des ananas, des pastèques et des mangues en « vente à la ferme » dans la plaine de Caen ? A l’heure où les débats publics se structurent autour des circuits courts et de l’alimentation de proximité, cette botte d’enrubannage au milieu d’une prairie accueille une palette peinte vantant des fruits exotiques, sans doute disponibles quelques centaines de mètres plus loin.
Au fond, une haie sur talus. Cette technique ancestrale est la plus efficace pour lutter contre l’érosion des sols et réguler le cycle de l’eau. La haie accueille des oiseaux, insectes, reptiles et petits mammifères qui y trouvent abri et nourriture. Cet écosystème est un allié précieux de l’agriculteur qui y puise aussi peut-être son énergie de chauffage. Et si des animaux pouvaient pâturer ce pré, ils y trouveraient une protection contre le vent, la pluie ou le soleil. Enfin, cette haie n’est pas d’une qualité optimale, on a tout de même envie d’y planter quelques arbres de haut jet.
A gauche, un espace imperméabilisé abandonné ou interdit. Un ancien parking ? Voilà la concurrence entre agriculture et aménagement mise en image. Quelques mètres carrés à verser à l’objectif national du zéro artificialisation nette par une perméabilité à retrouver ? Ou alors une entrée de chemin anciennement impraticable, un lieu de stockage de betteraves lorsque la sucrerie locale fonctionnait encore ? Evitons les a priori, laissons le doute multiplier les hypothèses qui justifient cette artificialisation du sol agricole.
Cette photo nous propulse au-delà des apparences. L’inévitable moquerie jaillissant à première vue se tasse progressivement. Et si cette « vente directe » de fruits exotiques venait d’une récupération aléatoire chez un grossiste qui envisageait la destruction ou la méthanisation de quelques tonnes de fruits en surnombre ? Et si l’alimentation locale restait compatible avec une alimentation diversifiée laissant une place aux produits exotiques ? Et si le raisonnement binaire (agriculture locale versus agriculture exportatrice) laissait la place à un raisonnement plus écosystémique, où les contraires ne s’opposent pas mais se complètent et où l’inattendu côtoie l’habituel ?
Cette photo est un point de départ. Un point de départ où les champs, les chemins et les assiettes sont plus variés qu’il n’y paraît. Cette photo donne envie d’en savoir plus, de commencer par rencontrer la personne qui a peint cette palette de vert et de jaune. Et puis de réfléchir avec tous les acteurs de cette plaine de Caen occupée par l’homme depuis le néolithique. Un bel héritage pour atteindre l’inévitable dessein qui vise à redonner leur diversité aux paysages, leur proximité aux aliments et leur durabilité aux ressources naturelles.
Redonner, et non plus prendre… quelle insolite insolence !
— Anne-Sophie Boisgallais
Demain, dimanche 14 mars : une carte postale du bocage virois, par Caroline Chanu
Pour aller plus loin :
- chantierscommuns.fr – retrouvez ici l’ensemble des cartes postales des régions naturelles de Normandie.
- archive-arn.fr – le site de l’Atlas des Régions Naturelles
- caenmetropole.fr – en savoir plus sur le «projet alimentaire territorial» de Caen Normandie Métropole.
- et du 6 au 30 mars, retrouvez l’ensemble de ces cartes postales exposées, et visibles en continu, dans la Vitrine de Pop à Caen.