Le bocage virois, par Caroline Chanu

14 mars 2021
Bocage virois – Eric Tabuchi et Nelly Monnier, L'Atlas des régions naturelles.

Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.

Dimanche 14 mars, nous restons en terre agricole avec Caroline Chanu, conseillère municipale de Valdallière et ancienne agricultrice, qui nous adresse cette carte postale du bocage virois.

Cette image, c’est une image que l’on croise couramment dans notre bocage à la saison de la moisson, en juillet-août.

En tant qu’habitante comme en tant qu’élue du territoire, on s’interroge régulièrement sur la pérennité des exploitations chez nous, sur leur évolution, et la perception que peuvent avoir les citadins de nos campagnes. Ces perceptions sont parfois fortement en décalage, notamment chez les citadins qui sont assez éloignés de nous, dans les métropoles, qui ont perdu le lien qui pouvait exister par le passé. Il y a cent ans de ça, la majorité de la population vivait à la campagne. Aujourd’hui, le rapport s’est inversé, mais on a gardé de ce monde une certaine image d’Épinal.

C’est avec cette image en tête qu’une attente émerge de la société, de plus en plus pressante, et que l’on peut tout à fait entendre. Le métier doit évoluer de même que la société évolue. Mais il y a dans l’agriculture des réalités économiques et du cycle de production qui font qu’adapter les façons de travailler prend du temps. Ainsi, ce qui nous questionne, en tant qu’élue ou en tant qu’habitante du territoire, c’est comment faire en sorte que les différentes parties, agriculteurs et société civile, puissent connaître et comprendre les attentes et les contraintes de chacun.

La mécanisation des pratiques, par exemple, peut choquer certaines personnes et a un impact sur le paysage. Les agriculteurs aujourd’hui sont beaucoup moins nombreux, les exploitations se sont agrandies, le matériel a souvent des dimensions de plus en plus importantes. Sur un bocage où l’on avait des petites parcelles entourées de haies, on a tendance à faire sauter ces haies pour agrandir encore les parcelles, et on peut se demander parfois jusqu’où on va aller, avec les conséquences que cela peut avoir sur la biodiversité.

C’est toute l’ambiguïté de ce que l’on demande aux agriculteurs : d’être plus performants, de faire plus avec moins de main d’œuvre, mais aussi de conserver le patrimoine environnemental, la biodiversité, le paysage tel qu’on l’a connu… Dans l’après-guerre on a longtemps dit aux agriculteurs de produire massivement sans se poser de questions, et c’est cette culture-là qu’on est en train de remettre en cause aujourd’hui, à juste titre à mon sens, mais cela ne se fait pas comme ça. On ne peut pas balayer en quelques années tout ce qui a été prôné pendant 50 ans, donc c’est ce virage-là qui est un peu long à prendre, d’autant que la multiplicité des points de vue qui existent aujourd’hui rend plus difficile de trouver la « vérité » ou de convaincre pour que chacun s’y retrouve.  

L’important, c’est donc que les collectivités se mobilisent pour aiguiller et accompagner cette évolution des pratiques – et nous avons la chance à Valdallière d’être sur un territoire qui a pris le problème à bras le corps il y a plusieurs années maintenant –, mais que dans le même temps la société dans son ensemble fasse preuve de son soutien pour préserver cette agriculture à taille humaine, des exploitants qui vivent et ont leur famille sur le territoire. Pour accueillir de nouvelles populations dans nos campagnes tout en maintenant une vie paysanne, avec ce qu’elle peut parfois comporter comme nuisances : pour de nouvelles solidarités rurales.

— Caroline Chanu

Demain, lundi 15 mars : Lionel Rougé nous écrit d’Hermanville-sur-Mer (Campagne de Caen)

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