Le Pays d’Auge, par Ghislaine Liabeuf

30 mars 2021
Marmouillé (Campagne d'Argentan) – Eric Tabuchi et Nelly Monnier, L'Atlas des Régions Naturelles.

Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.

Mardi 30 mars, après Nelly Monnier en ouverture de cette série, c’est Ghislaine Liabeuf, épouse d’un maraîcher installé à Beuvillers près de Lisieux, qui s’arrête pour contempler le patrimoine des bâtiments agricoles anciens en Normandie et de leurs raccommodages successifs.

J’ai voyagé jusqu’à Rennes avec Albert. C’était le printemps, les tracteurs s’affairaient dans les champs : labour-semis-amendement.

Albert ne le voyait pas. En bibliothèque, des livres documentaires vous permettent désormais de traverser la France en nommant le blé, l’orge, le sorgho. Encore faut-il s’y intéresser.

Quand vous venez dans le Pays d’Auge, vous recherchez peut-être les manoirs, et au hasard, vous admirez une maison en colombage refaite à neuf au milieu d’un jardin joliment entretenu, avec des hortensias, grillage entourant la propriété.

Regardez-vous les dépendances, hétéroclites, abris à usages multiples : bovins, fourrages ou engins agricoles. Parfois à l’intérieur, une cheminée, des pavés au sol attestent une occupation, dans un autre siècle, par une famille.

Ces bâtiments non côtés, qui encombrent même l’agriculteur moderne, font doucement leur révérence, ils plient immuablement. L’eau s’est infiltrée et a miné le mur en torchis, les poutres ont suivi et le bâtiment penche. Personne ne viendra le consolider, il s’écroule, seul, on l’oublie. Les ronces l’occupent petit à petit et l’ensevelissent. Les fondations en silex résistent jusqu’au coup de butoir d’un bulldozer, il n’existe plus, peut-être, comme l’agriculteur qui l’utilisait.

Certains de ces édifices sont rafistolés, c’est un programme sur le long terme. Des tôles sont clouées sur un pan de toit, les ardoises s’étant envolées avec les tempêtes hivernales. Quelques années plus tard, un autre pan de mur est habillé, le colombage disparait en partie sous la tôle. Catastrophe esthétique ? Pas vraiment, la tôle vieillit, se patine, elle est grise, noire, rouille, le lichen la gagne, elle tient bon et protège le bâtiment. L’agriculteur veille au grain, recloue la tôle qui tape avec le vent.

Le bâtiment poursuit sa vocation, même si l’heure de la retraite a sonné pour le paysan.

Ensuite ? Le destin de la construction dépendra du repreneur, de la politique agricole et de notre regard.

— Ghislaine Liabeuf

Demain, mercredi 31 mars : une carte de Ver-sur-Mer (Bessin), par Yvan Poulain

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