Sainte-Marguerite-sur-Mer et Hébécrevon, par Eric Tabuchi

6 mars 2021
Sainte-Marguerite-sur-Mer (Pays de Caux) – Eric Tabuchi et Nelly Monnier, L'Atlas des Régions Naturelles.

Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.

Samedi 6 mars, les premières cartes postales nous sont envoyées par le photographe Eric Tabuchi de Sainte-Marguerite-sur-Mer (Pays de Caux) et Hébécrevon (Cotentin).

Qu’il s’agisse des nombreux blockhaus érigés par l’armée allemande pour former le Mur de l’Atlantique ou bien des villes reconstruites à la suite des bombardements alliés, partout la Normandie porte les stigmates de la Seconde Guerre mondiale dont elle fut l’un des épicentres. Cette catastrophe, d’une ampleur qu’on imagine mal aujourd’hui, a forgé pour une bonne part l’identité actuelle de la région.

Parmi les plus impressionnants vestiges, il y a le bunker de Sainte-Marguerite. Sa masse énorme, plantée au pied de la falaise d’où l’érosion l’a précipité, semble attendre que la mer achève son œuvre et, s’il fallait choisir un symbole de l’inutilité des murs qu’érigent les États pour se protéger, celui-ci serait certainement l’un des plus éloquents. Pour en mesurer la puissance, il faut, à marée basse, approcher le monolithe dont l’improbable posture lui donne l’allure d’un gigantesque obus qui n’aurait pas explosé, en faire le tour, évaluer ses dimensions, son poids. En tant que sculpture, c’est absolument parfait. La tension qui résulte de cette masse en équilibre, à la fois monumentale et pathétique, offre un raccourci saisissant du chemin qui conduit presque inévitablement du triomphe à la chute. Un jour il aura disparu mais avant cela, je le photographie en espérant que cette image traduise l’impression ressentie lors de ma visite.

Si cette forteresse a résisté, des villes, nombreuses, ont été littéralement rayées de la carte. La Havre, Caen, Alençon, Cherbourg ou Lisieux, la liste est longue. Pourtant, des ruines de l’après-guerre, il ne reste rien. Partout elles ont été à leur tour rasées pour laisser place à la reconstruction. Aussi, aux vestiges du Mur de l’Atlantique qui jalonnent la côte normande faut-il opposer non pas d’autres vestiges mais des villes, des bourgs et des villages qui, pressés d’oublier, les ont recouverts. Ces cités racontent en creux le chaos duquel elles sont nées car du chaos lui-même, il ne reste rien, et c’est peut-être dommage.

Il faudrait une certaine mauvaise foi pour nier la tristesse qui émane de l’alignement monotone des façades caractéristiques de l’architecture de la reconstruction, pourtant, une fois surmontée la première impression, on se surprend à en distinguer les nuances, à en repérer les variations, les petites coquetteries, et finalement à s’y attacher.

En contre-point du blockhaus de Sainte-Marguerite, voici donc l’emblématique bar-tabac de la commune d’Hébécrevon – ça ne s’invente pas – dont la page Wikipedia nous apprend qu’elle a été entièrement anéantie lors de l’opération “Cobra“ qui avait pour but de percer un corridor pour les armées de libération à travers l’épais bocage normand. Assez logiquement, l’établissement s’appelle “Au bon accueil“ et comme partout ailleurs, les autocollants de la Française des Jeux en défigurent avec assurance la devanture.

Comme vous pouvez le constater tout ça n’est pas d’une gaité folle, pourtant, nous qui sillonnons le pays de long en large pouvons vous assurer qu’il y a bien des coins épargnés par les désastres de la guerre où l’on trouve des villages plus impersonnels que celui-ci. Car au fond, c’est peut-être de personnalité qu’il s’agit et, avec son invraisemblable église de grès rose, Hébécrevon ne risque pas d’en manquer.

— Eric Tabuchi

Demain, dimanche 7 mars : carte postale de Sébécourt (Pays d’Ouche) par Nelly Monnier.

Pour aller plus loin :