Sébécourt, par Nelly Monnier

7 mars 2021
Sébécourt (Pays d'Ouche) – Eric Tabuchi et Nelly Monnier, L'Atlas des régions naturelles.

Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.

Dimanche 7 mars, après Eric Tabuchi, c’est Nelly Monnier, artiste et co-autrice de l’Atlas des Régions Naturelles, qui nous écrit depuis Sébécourt (Pays d’Ouche).

Faire parler

S’il ne fallait garder qu’un type de bâtiment pour comprendre une région naturelle, nous ferions un atlas des dépendances agricoles. Elles concentrent à la fois les matériaux naturels qui affleurent et ceux que l’on a inventés pour des questions d’efficacité, les formes de l’architecture locale miniaturisées, leur adaptation aux besoins d’un premier fermier et l’inventivité des multiples bricolages auxquels ses successeurs recourront.

C’est ce qui nous pousse régulièrement à quitter le couloir de la N12 pour retrouver les plateaux et vallons du pays d’Ouche. Comme dans beaucoup de régions normandes, le bocage et les anciens vergers se sont éclaircis pour laisser apparaître autour d’un corps de ferme de nombreuses dépendances. Elles faisaient autrefois partie d’une unité cohérente, d’un système agricole autonome dont l’élevage et la production de cidre étaient les activités principales.

Sur ce paysage argileux, comme une protubérance manufacturée du sol, des soubassements en silex soutiennent les murs à pans de bois et torchis, mélange de terre et de paille. Un simple bardage en planches étroites ferme l’avant toit et abrite le foin du bétail. On cuit la terre pour en faire des briques qui viennent consolider les angles et les ouvertures. Une façade est enduite pour plusieurs années. Quelques briques en ciment réduisent la largeur d’une porte, ou remplacent un assemblage de silex fragilisé. Des plaques de tôle ondulée se substituent aux tuiles plates, et servent parfois de dernier rempart au torchis qui s’émiette là où le vent bat la pluie. Elles rouillent d’une façon qui rejoint la brique et, à certains endroits, l’aspect ferrugineux du grison.

De provisoire, ça devient définitif, c’est ce qui permet à de modestes bâtiments de garder une certaine utilité et de traverser les décennies. D’être construit pour servir de grange, augmentée plus tard d’un four à pain, d’un pressoir à cidre ou d’une autre remise en demi-croupe. En résulte une construction souvent modeste, chaotique et juste, dont l’hétéroclisme dépend d’une suite de décisions personnelles qui, comme en archéologie, engendrent de nombreuses interprétations possibles pour qui prend la peine de les observer. Peu importe l’exactitude, au delà de la science et de l’anecdote il nous semble que ce qui compte c’est avant tout de garder le long des routes ces petits édifices qui, d’hypothèse en hypothèse, de bouche en bouche, continuent de mener leur vie dans un temps qui nous dépasse.

— Nelly Monnier

Demain, lundi 8 mars : carte postale d’Auderville (Cotentin) par Camille Morin

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