Valognes, par Stéphanie Dupont

24 mars 2021
Valognes (Cotentin) – Eric Tabuchi et Nelly Monnier, L'Atlas des régions naturelles.

Tout au long de Chantiers communs, retrouvez chaque jour une image de la région issue de «l’Atlas des régions naturelles» d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, commentée par une personnalité ou un collectif invités.

Mercredi 24 mars, nous restons dans le Cotentin, mais à Valognes, pour parler du partrimoine industriel avec Stéphanie Dupont, chercheuse au Pôle Inventaire général du patrimoine culturel de la région Normandie.

28 jours… 28 images… Tel un calendrier de Petit Poucet… Faire partie d’une œuvre commune. D’un « chantier commun ». Choisir une image. Regarder. Sélectionner… celle-ci pour son esthétisme, cette autre pour le sujet évoqué. Ecarter les autres, pour n’en garder qu’une…
Une image parmi les centaines contenues dans l’Atlas des régions naturelles. ARN. ADN… ce bout de France qui vous tient lieu d’évidence. Soit, mon image viendra de là-bas, de là-haut, de mon morceau de Presqu’île. Image de trajet – de retour – celle-qui glisse dans le regard avant l’accélération dans les virages du Val-de-Saire : les usines Valco. Le chercheur de l’Inventaire général spécialisé en patrimoine industriel que je suis se demande quand viendra le temps de pénétrer en ses lieux.

Sur la rue de Poterie, au nord de Valognes, passé les hôtels particuliers et les maisonnettes de ville, s’étendent les bâtiments Valco, aujourd’hui exploités par les Maîtres laitiers du Cotentin. Ils présentent au visiteur leurs murs pignons, à l’enduit blanc un peu défraîchi et dont la forme triangulaire est renforcée par l’utilisation de pignons découverts où veillent des chiens-couchés. Des baies en bandeau au style plus moderne éclairent les parties inférieures. Sur le devant du bâtiment, l’auvent de béton traduit l’emplacement des quais de réception et de chargement. En arrière-plan se dresse le château d’eau de l’usine et derrière les façades d’hier se dissimulent les ateliers de fabrication d’aujourd’hui.

Bâtiments d’entre-deux. Ces bâtiments sont sortis de terre dans les années Trente et ne peuvent ni revendiquer le charme des constructions du Petit Versailles Normand, ni l’appartenance à l’architecture d’une Valognes renaissante, les laissant d’une certaine manière uniques. Le phénomène d’entre-deux marque également leur position dans la cité, entre ville et campagne. Entrée – sortie de ville. Ici épargnés, l’observation de ces espaces amène le plus souvent à constater leur non-aménagement, relevant d’un urbanisme privé d’âme architecturale au gré de démolitions de maisons ouvrières, au profit d’implantations de cases commerciales. La pieuvre étend ses tentacules sans se questionner sur l’image qu’elle renvoie.

Pourtant, l’image est importante. L’entrepreneur, lui, l’a bien compris. Valco…. Un nom, une signature à la typographie élégante, aux cursives soignées. Une contraction pour « Valognes coopérative ». Ce statut juridique traduit une manière de produire que les agriculteurs normands, conscients de l’intérêt de s’unir pour tirer le meilleur profit de leur labeur, ont adoptée dès le début du 20e siècle. Le mouvement coopératif, semé de Tocqueville à Carcagny, perdure encore parmi certaines entreprises les plus connues de notre région.

La coopération permet aujourd’hui aux équipes de l’Inventaire général d’accéder à de tels sites industriels, qui appartiennent pour la plupart à des propriétaires privés – entreprises de renom, PME locales ou particuliers. Ce sauf-conduit accordé nous ouvre les portes de bâtiments où la vie fourmille, réelle ou fantomatique : celle d’une entreprise qui grandit, achète, vend et investit, celle d’une matière première que l’on transforme au sein des ateliers, celle des ouvriers qui y exercent leur savoir-faire et s’appuient sur des solidarités qui vont bien au-delà de ces murs.

Ainsi mis sur le devant de la scène par l’Inventaire général, ces usines, comme tant de lieux étudiés, trouvent leur place au sein de notre patrimoine commun, comme autant de moellons qui composent l’édifice de notre culture en constante extension.

— Stéphanie Dupont

Demain, mercredi 24 mars : l’équipe éditoriale de la revue L’Épopée nous écrit de Saint-Martin-aux-Chartrains (Pays d’Auge).

Pour aller plus loin :

  • chantierscommuns.fr – retrouvez ici l’ensemble des cartes postales des régions naturelles de Normandie.
  • archive-arn.fr – le site de l’Atlas des Régions Naturelles
  • normandie.fr – le site de l’Inventaire du patrimoine de la région Normandie
  • et du 6 au 30 mars, retrouvez l’ensemble de ces cartes postales exposées, et visibles en continu, dans la Vitrine de Pop à Caen.